Pas moins de 866 marchands ambulants et propriétaires d’étals anarchiques devront s’installer légalement dans les cinq marchés municipaux de la capitale, dont 512 au souk Moncef-Bey. Reportage
Depuis que le Chef de l’Etat a appelé, au mois de février dernier, au durcissement des moyens de lutte contre les phénomènes de la contrebande et du commerce parallèle dont les coups infligés à l’économie nationale ne sont plus à démontrer, branle-bas de combat dans pratiquement toutes les communes du pays. Et là, on a vu que certaines d’entre elles ont tôt fait d’y remédier, quoique non sans peine, alors que d’autres s’y impliquent de plus en plus profondément.
Cependant, pour la commune de Tunis, le plus dur reste à faire, étant donné qu’il s’agit bien de la municipalité compte tenu de son importance en termes de superficie, de population et de développement de ces deux fléaux. Longtemps pointée du doigt pour son laxisme et sa gestion calamiteuse, la mairie de la capitale se contentait de prendre son mal en patience. Aujourd’hui, on peut dire que le fardeau s’est allégé. Reportage.
Les zones commerçantes les plus animées ratissées
En effet, l’Hôtel de Ville est passé à l’offensive en sortant l’artillerie lourde. C’est ainsi que les artères principales de la capitale ont été passées au peigne fin. On a aussi ratissé large dans les zones commerçantes les plus animées, particulièrement la rue Charles-de-Gaulle, l’avenue de France, les rues avoisinant le Marché central, ainsi que la Place du Passage et les avenues Bourguiba et de Paris. Soit les lieux qui constituent l’épine dorsale du commerce parallèle. Les étals anarchiques, les charrettes et les tables en carton utilisés par les marchands à la sauvette ont, du coup, disparu.
Les contrevenants ont fini par baisser pavillon. «Notre tâche n’a pas été de tout repos», reconnaît un agent de la police municipale qui évoque «la présence de bandes hors-la-loi qu’on a eu du mal à neutraliser.» L’un de ces derniers, le dénommé Faouzi Rebai, réplique: «OK, je m’en vais après une bonne décennie de fidélité à la rue Charles-de-Gaulle, mais j’espère que les responsables tiendront leur promesse de nous offrir ailleurs un emplacement meilleur».
Contacté par La Presse, le sous-directeur des marchés municipaux et des affaires économiques de la mairie de la capitale, Sami Loussaief, se veut rassurant. «Effectivement, explique-t-il, la stratégie qu’on a élaborée pour une gestion efficace de ce dossier épineux prévoit deux étapes : d’abord débarrasser la commune de ce vieux décor que sont les étals anarchiques et ensuite les délocaliser dans des sites aménagés et correctement organisés. Ce qui leur permet à la fois d’éviter le chômage et d’exercer un métier dans des conditions décentes et légales, notre objectif étant de contribuer à leur intégration dans le circuit économique formel».
Pour ce faire, la municipalité leur a demandé, dans la cadre de la régularisation de leur situations, de présenter un dossier de candidature. «Pas moins de 3.360 demandes nous sont parvenues», indique M. Loussaief qui précise que «seuls 866 dossiers ont été retenus, après avoir fait l’objet d’un examen approfondi au sein de la commission de dépouillement où siégeaient les représentants des différentes parties concernées, et à leur tête ceux du ministère de l’Intérieur».
Dans la légalité et au grand jour
Selon notre interlocuteur, les candidats admis seront répartis sur les cinq marchés municipaux suivants : Sidi El Bechir (137) El Jazira (92) Mongi-Slim (67) Marché central (58) et souk Moncef-Bey (512). Ce dernier s’est taillé la part du lion parce qu’il sera doté incessamment, dans le cadre d’un projet d’extension, d’un site supplémentaire sur une superficie de six mille mètres carrés.
Une fois installés dans leur QG flambant neuf, ces petits commerçants qui, jusqu’ici, travaillaient au noir et avec la peur au ventre, vont s’adonner à leurs activités dans la légalité et au grand jour. Primo, parce que l’Etat est intervenu en leur faveur auprès de la Banque tunisienne de solidarité (BTS), pour contracter un crédit de financement de leur projet, avec trois mois de grâce dans les échéances de remboursement du prêt. Secundo, ils vont également bénéficier de loyers mensuels abordables (de 40 à 120 dinars selon l’emplacement du marché)
Rester aux aguets
Autant nous saluons cette démarche prospective par la municipalité de Tunis, autant nous nourrissons la crainte que le «surpeuplement» attendu du souk Moncef-Bey donne lieu à un regain de développement du marché de la contrebande qui constitue, qu’on le veuille ou pas, l’épine dorsale de ces surfaces commerçantes en matière d’approvisionnement.
«Il n’y a pas lieu de s’inquiéter», rassure M. Sami Loussaief qui ne tarit pas d’éloges sur la police municipale et les forces de l’ordre « pour leur omniprésence, leur flair et leur professionnalisme».
Ce n’est pas l’avis de certaines sources sécuritaires qui font état de «persistance de pratiques mafieuses, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement et l’acheminement de la marchandise».
Selon les mêmes sources, «le temps est révolu où ce fameux souk, alors chasse gardée de gros bonnets que chapeautait l’intouchable clan des Trabelsi, était enlisé dans le chaos et l’anarchie. N’empêche que des séquelles persistent, à travers les agissements louches d’intermédiaires véreux en lien avec les réseaux de contrebande sévissant aux frontières avec l’Algérie et la Libye».